Chapitre XV

Un soleil rouge sang apparaissait à l’horizon comme un sombre présage de ce que serait cette journée. Du haut d’un petit promontoire, Karlus et le connétable regardaient les hommes qui gagnaient leurs postes sous les ordres d’Yvain. Cette fois, Priscilla avait tenu à accompagner de Guerreval. Toutefois, elle avait la sagesse de se taire et de ne pas faire allusion aux chansons de geste.

— Sur le conseil d’Yvain, dit le connétable, nous avons remplacé les hommes légèrement blessés et les plus fatigués par ceux qui n’avaient pas combattu la veille. À leur tour, ils constitueront notre maigre réserve. Il en est de même pour les chevaliers qui gardent l’issue du défilé.

Le roi approuva de la tête. Par principe, il avait revêtu une armure légère que son père lui avait autrefois fait confectionner. Karlus ne l’avait pratiquement jamais utilisée, s’étant toujours refusé à participer aux tournois qu’il considérait comme un jeu puéril, non dépourvu de réels dangers qu’il était inutile de courir.

Au loin, le camp godomme était visible. Il y régnait une grande activité. Bientôt, une forte colonne avança en direction de la tour.

— Vous aviez raison de penser que ce serait leur premier objectif, murmura Karlus.

— Ils ne pouvaient renouveler l’erreur de la veille qui leur a coûté de nombreux morts. Yvain a eu raison d’en demander l’évacuation.

— Vous êtes un sage, messire de Guerreval. Il est rare qu’un ancien accepte les conseils d’un jeune.

— Certes mais il est différent de tous les jeunots que j’ai pu connaître. Dès notre première rencontre, lors du dernier tournoi organisé par votre père, j’avais deviné ses exceptionnelles qualités.

Légèrement en retrait, Priscilla écoutait la conversation. Un peu de rouge colora ses joues quand elle entendit prononcer le nom d’Yvain. Elle ne comprenait toujours pas ses sentiments. Il était laid, n’avait aucune des qualités des héros des chansons de geste, enfin il avait tué en combat singulier son premier amour, le beau Renaud de Norvak. Elle s’était donnée au Prince des Ténèbres pour qu’il l’emporte. Toutefois, quand il était près d’elle, elle ne pouvait plus se contrôler et voulait farouchement lui appartenir. Dans ses bras, elle oubliait tout, ne pensant qu’au plaisir insensé qui l’envahissait.

— Les Godommes ont atteint la tour. Ils semblent surpris de la trouver vide, dit le connétable.

— Vont-ils attaquer immédiatement ?

— Non, ils semblent attendre des renforts.

Effectivement, Radjak prévenu de l’occupation de la tour, lança sa troupe à l’assaut. Les fantassins se répandaient en nuées serrées. Ils semblaient en pousser sur tous les cailloux. Ils avançaient lentement, prenant bien soin de rester alignés.

Pendant plusieurs minutes, de Guerreval observa leur progression, le front creusé de rides soucieuses.

— Ils sont encore plus nombreux qu’hier. Je me demande comment Radjak a pu réunir autant d’hommes en moins de quatre mois.

— Sans doute a-t-il rassemblé toutes les tribus de son pays. Il faudra un miracle pour les arrêter car, cette fois, la montagne ne s’effondrera pas.

Yvain se trouvait aux côtés du capitaine Kokas.

— Ordonnez à vos hommes de lancer lorsque les Godommes apparaîtront sur les avant-derniers rochers. Ensuite, qu’ils tirent aussi rapidement que possible. Nous devons espérer que l’importance des pertes les fera hésiter.

— C’est peu probable, ricana Kokas, ils semblent bien déterminés. Il me faudrait le triple d’effectif pour obtenir un résultat.

— J’apprécie la valeur de vos arbalétriers et je crois qu’ils obtiendront de magnifiques résultats.

Maintenant, les Godommes approchaient, fort bien alignés. Un premier tir fit chuter un grand nombre d’entre eux mais dès qu’un homme tombait, un autre le remplaçait donnant l’impression que rien ne s’était produit. Vite, trop vite, ils arrivèrent au contact du premier rang des défenseurs.

Pendant de très longues minutes, le combat s’équilibra. Renforcés par les nouveaux chevaliers, les gens de Fréquor résistèrent aux assauts toujours renouvelés des Godommes. Il en était de même au sortir du défilé. Les cavaliers ennemis attaquaient sans cesse en dépit de leurs pertes. Il y avait maintenant un véritable tapis de cadavres de Godommes et de dalkas. Les nouveaux arrivants étaient contraints de piétiner les morts et les agonisants. Ils devaient parfois sauter plusieurs corps empilés. En dépit de cela, ils continuaient à attaquer.

Toutefois, la pression des fantassins se faisait plus vive, obligeant les gens de Fréquor à reculer. Nombre de Godommes étaient arrivés à un vrai corps à corps. Les adversaires collés l’un à l’autre n’arrivaient plus à se frapper et c’est le poids du plus grand nombre qui repoussait la ligne.

Déjà des files de cinq à six Godommes se présentaient devant chaque guerrier. Et il en arrivait toujours d’autres ! Yvain vit le danger. Sa ligne de défense n’allait plus tenir longtemps.

— Continuer à faire tirer, capitaine. Je dois mener une contre-attaque.

Il éperonna son dalka et atteignit l’éperon rocheux derrière lequel se dissimulait sa maigre réserve de chevaliers dont les montures piaffaient d’impatience.

— En colonne par quatre, ordonna-t-il. Nous chargerons latéralement entre l’éboulis et notre première ligne. Il faut balayer toute cette piétaille pour soulager nos fantassins.

Heureusement, la veille, il avait expliqué aux nobliaux ce qu’ils auraient à faire. Ils le suivirent sans rechigner d’être placés sous les ordres d’un aussi jeune homme. Yvain abaissa la visière de son heaume, assura sa lance et partit au galop. Les fantassins placés à l’extrême gauche de la ligne avaient été prévenus d’une telle éventualité. Aussi s’écartèrent-ils lorsque les chevaliers arrivèrent à leur hauteur. Yvain, le premier, arriva au contact des Godommes. De légers chocs et le bruit écœurant du bois transperçant un thorax.

Maintenant, les chevaliers n’avançaient plus qu’au pas, s’enfonçant dans les rangs serrés des Godommes comme un scalpel dans la chair vive. Yvain comme beaucoup d’autres cavaliers avait dû laisser tomber sa lance chargée de corps pantelants. De son épée, il frappait toutes les têtes à sa portée tandis que sa monture bousculait les hommes pressés les uns contre les autres. Par instant, une secousse ébranlait sa cuirasse mais il poursuivait obstinément son avance, indifférent aux cris de douleur et au sang qui coulait sur la lame de son épée jusqu’à la garde.

Il arriva à la hauteur du défilé, constatant que trois chevaliers avaient péri. Ils reculèrent pour laisser passer la colonne qui avançait irrésistiblement. Enfin arrivé à l’autre extrémité du col, Yvain ordonna un demi-tour. Cette fois, il se retrouvait en queue de colonne du côté de l’éboulis d’où les Godommes ne cessaient de descendre. Encore et encore, il lui fallait frapper d’estoc et de taille et parfois parer les coups les plus dangereux.

Sa respiration s’accélérait, son cœur battait à grands coups dans une poitrine douloureuse tandis que des rigoles de sueur glissaient sur son dos. À voir le sang répandu, une nausée lui tordait l’estomac. Où étaient les joutes courtoises prônées par Priscilla ? Un brouillard rouge commençait à flotter devant ses yeux.

Soudain, il vit devant lui un chevalier abattu qui tentait de se relever tandis que deux Godommes approchaient de lui l’épée levée dans le but manifeste de l’achever. Ils n’eurent pas le temps d’agir. Yvain pressa les flancs de sa monture pour la faire avancer plus vite et les Godommes s’effondrèrent, le crâne fracassé. Puis il tendit le bras en se penchant. Le chevalier le saisit comme un naufragé s’attache à une branche salvatrice. Une puissante traction le hissa sur la croupe du dalka qui supporta sans broncher ce double poids.

Les quelques secondes perdues lui avaient fait perdre le contact avec la colonne. Déjà, des Godommes comme une nuée de fourmis tentaient de l’entourer. Yvain demanda un nouvel effort à sa monture qui bondit en avant, bousculant et piétinant les hommes tandis qu’Yvain frappait tous ceux qui ne s’étaient pas écartés assez vite.

Il fut presque surpris de constater que sa colonne, arrivée au but, s’écartait vers l’arrière tandis que les fantassins reprenaient position. Il poussa un énorme soupir tandis que son passager mettait pied à terre. Ce dernier releva sa visière et Yvain reconnut avec surprise Ian de Kumov. Une tramée de sang barrait son front.

— Moult mercis, messire, vous m’avez sauvé.

— J’en suis fort aise, sourit Yvain, ma sœur ne me l’aurait jamais pardonné s’il vous était arrivé malheur. Allez voir les moines pour qu’ils vous soignent.

L’action d’Yvain avait désorganisé l’attaque godomme. Cela permit aux gens de Fréquor de reconstituer leur ligne de défense et leur avait accordé des instants de repos. Malheureusement, ce répit fut de courte durée. Des officiers godommes reprenaient leur troupe en main tandis que les renforts se pressaient sur les éboulis.

Debout à côté du père alchimiste, Sabrina recherchait pour la centième fois la direction de la très légère brise qui donnait un peu de fraîcheur à la journée.

— Ne vous inquiétez pas, mon enfant, elle souffle toujours dans la même direction, sourit le moine.

— Pourquoi ne se passe-t-il rien ? Me serais-je trompée dans le mélange ?

— Un peu de patience, Sabrina. Regardez, le soleil n’est pas encore à son zénith. Il faut lui laisser le temps de chauffer notre mixture. Ce ne devrait plus être très long.

Soucieux, Yvain examinait le champ de bataille. Sa troupe avait magnifiquement résisté mais les pertes n’avaient pas été négligeables et il y avait de nombreux trous dans le deuxième rang. Avec un soupir, il souffla dans une petite trompe suspendue à son cou. Il n’en tira qu’un son étouffé, désagréable. En effet, un coup d’épée l’avait aplatie à sa partie moyenne. Ce fut cependant suffisant car un officier accourut. Il avait un visage rond, de gros traits et une balafre sanglante marquait sa joue droite, souvenir du combat de la veille.

— Appelez tous les hommes en réserve et étoffez nos rangs.

— Nous n’aurons plus de réserve, objecta l’officier.

— Si les Godommes percent, elles seront inutiles car vite submergées. Il faut contenir l’ennemi sur l’endroit le plus resserré du col.

Tandis que les hommes prenaient position, Yvain regarda avec curiosité la nuée qui se dégageait de la tour du guet. Elle était d’une couleur vert sombre. Elle s’élevait lentement, comme à regret, devenant de plus en plus épaisse. La brise légère la chassait vers l’éboulis. Elle devait être plus lourde que l’air car elle descendait vers le sol avec douceur.

S’étant assuré que l’officier exécutait ses ordres, Yvain caracola vers le roi pour avoir une vue d’ensemble de la situation et prendre des instructions du connétable. Ces derniers contemplaient la nuée verte qui maintenant s’étalait sur l’ensemble de l’éboulis. En le voyant paraître près d’elle dans son armure couverte de larges flaques de sang, Priscilla poussa un cri.

— Vous êtes blessé !

— Je ne le crois pas, c’est du sang godomme.

— Nous vous avons vu combattre avec grand courage, dit le roi qui ne pouvait détacher son regard de l’horizon.

Les Godommes rompaient leur bel alignement et semblaient courir dans toutes les directions. Nombreux étaient ceux qui s’effondraient sur place. Seuls les deux premiers rangs continuaient à se battre mais ils ne recevaient plus de renfort. Dans le défilé, les cavaliers débouchaient en très petit nombre aussitôt abattus par les chevaliers.

— Quelle diablerie est-ce là ? maugréa le connétable.

— Je ne sais, dit Yvain, mais même si c’est une manifestation du Prince des Ténèbres, elle est la bienvenue. Je retourne près des hommes. Il ne faudrait pas qu’ils cèdent maintenant que nous tenons la victoire.

Il éperonna son malheureux coursier assez épuisé qui partit un peu moins vite qu’à l’ordinaire. La ligne de combat était stabilisée et les Godommes montraient moins de mordant. Nombreux était ceux qui regardaient souvent en arrière essayant de deviner pourquoi d’autres hommes ne venaient pas les appuyer.

Le capitaine Kokas était également perplexe.

— Mes archers ne trouvent plus de cible sur les rochers. Je vais les faire avancer pour qu’ils puissent tirer par-dessus la tête de vos hommes.

La manœuvre s’effectua rapidement. Lancés presque à bout portant, les carreaux transperçaient casques et crânes avec une dérisoire facilité. Un quart d’heure plus tard, le dernier Godomme passait de vie à trépas.

De Gallas approcha d’Yvain. Il avait les joues écarlates et le souffle encore court.

— Il parait que l’ennemi a cessé son attaque. J’avoue ne pas en être mécontent car je ne sais si nous aurions pu tenir encore longtemps mais je ne comprends pas la raison de cette trêve miraculeuse.

— Nous non plus, grogna Yvain. Une curieuse nuée verte s’est élevée de la tour et est retombée sur les éboulis. Aussitôt, les Godommes ont arrêté leur progression pour se disperser et beaucoup se sont écroulés. Un vrai phénomène de sorcellerie.

Paul sursauta violemment au risque de faire cliqueter son armure bosselée.

— Viens avec moi, je pense pouvoir obtenir une explication.

Avant de suivre Paul qui se dirigeait à grands pas vers les moines occupés, Yvain dit à Kokas :

— Faites reposer vos hommes. Le roi leur exprimera en personne toutes ses félicitations.

Paul chercha du regard Sabrina. Il l’aperçut enfin, penchée sur un blessé. Il la saisit rudement par le bras.

— Quelle est encore cette diablerie ?

Le père alchimiste intervint d’une voix très sèche.

— Que signifie cette conduite, mon fils ? Lâchez immédiatement cette jeune fille.

— Je suis désolé, Père, mais je veux une explication sur cet acte de… sorcellerie.

Le moine caressa un instant sa courte barbe puis leva les bras au ciel en un geste de désespoir feint.

— Je me demande encore, ma petite Sabrina, comment vous pouvez être aussi attachée à ce chevalier. Son esprit est désespérément obscurci et je ne connais aucune médication qui pourrait lui faire revenir la raison.

Yvain s’amusa en voyant les deux jeunes gens rougir avec un bel ensemble tandis que le moine reprenait en soupirant comme s’il s’adressait à un enfant arriéré mental.

— Sachez qu’il n’y a aucune pratique démoniaque. Grâce à Sabrina, nous avons seulement perfectionné un mélange déjà utilisé lors de l’attaque de notre forteresse. Ceux qui respirent ces vapeurs meurent étouffés. Je sais que ce n’est pas chevaleresque mais c’était la seule manière d’arrêter le déferlement des Godommes. En dépit de votre vaillance, ils vous auraient massacrés jusqu’au dernier. Aussi, au lieu de rudoyer cette jeune fille, vous devriez la remercier à genoux pour avoir sauvé votre ridicule existence.

Sentant l’embarras de son ami, Yvain tenta de faire dévier la conversation.

— Combien de temps durera l’action toxique de cette nuée ?

Le moine regarda le ciel où la brise s’était renforcée.

— Le vent ne tardera pas à dissiper le gaz. De plus, au contact de l’air le produit volatil perd son efficacité en deux ou trois heures. Maintenant, je vous laisse. J’ai assez perdu de temps avec vous alors que des blessés attendent mes soins.

Paul et Sabrina étaient debout, face à face, ne sachant que dire. Une fois de plus, Yvain détendit l’atmosphère en lançant :

— Nous n’avons pas été présentés mais je vous trouve admirable. De toutes vos qualités, la plus grande est d’avoir réussi à séduire Paul. Il avait un caractère de vieux garçon austère. Je constate qu’une jolie figure le fait changer d’avis. Je vous laisse car je dois voir le roi.

Restés seuls, le deux jeunes gens se regardèrent longtemps en silence.

— Je pense qu’une fois de plus je vous dois des excuses, murmura Paul. Comment me faire pardonner ?

— J’ai une idée sur la question. Nous l’approfondirons ce soir quand vous serez sorti de votre carapace métallique, sourit-elle. Maintenant, il me faut aider les moines à soulager les blessés.

Maintenant, plus personne ne bougeait sur les éboulis. Au loin, quelques silhouettes s’agitaient encore dans le camp des Godommes. Après avoir rendu compte au roi, Yvain attendait, tentant d’estimer le temps écoulé depuis l’apparition de la nuée verte.

— Le ciel nous est encore venu en aide, soupira le roi. Nous devrons beaucoup à cette jeune fille et au père alchimiste. Cette fois, Radjak a définitivement perdu la partie.

— Il faudrait s’en assurer et ne pas lui laisser la possibilité de reconstituer une nouvelle fois ses forces, grogna Yvain. Je vous demande l’autorisation de prendre une douzaine de chevaliers et d’aller jusqu’au camp adverse. Nous ne devrions pas rencontrer trop d’opposition.

— Mais le nuage toxique, objecta le roi.

— Il n’est déjà presque plus visible et le père alchimiste assure qu’il sera neutralisé dans deux heures. Cela me laisse le temps de donner les ordres pour que nos malheureux soldats puissent enfin se ravitailler et trouver un peu de repos.

Le roi après réflexion, acquiesça :

— Allez messire Yvain et faites à votre guise mais ne prenez aucun risque. Je tiens absolument à vous revoir pour vous témoigner publiquement ma reconnaissance.

 

*

* *

 

Radjak observait le combat d’un œil satisfait.

— Ils commencent à reculer, accablés sous le nombre, jubila-t-il.

— Des chevaliers s’apprêtent à intervenir, dit Merchak.

De fait, la charge menée par Yvain créait une grande confusion qui fit jurer le Csar. Il retrouva un peu de sérénité en voyant ses hommes reprendre leur attaque.

— Cette fois rien ne pourra sauver Karlus, jubila Radjak.

Avec inquiétude, Merchak vit apparaître le nuage vert. Il le signala à son maître qui se contenta de hausser les épaules.

— Que se passe-t-il ? grogna le Csar. Pourquoi interrompent-ils l’attaque ?

Tahar arrivait sur son dalka. La bête s’effondra en exhalant un dernier râle. L’homme se releva avec peine, se traînant vers Radjak. Son visage avait pris une teinte bleue, violacée. Il semblait respirer avec de grandes difficultés.

— Les hommes, souffla-t-il d’une voix éteinte,… tous morts… étouffés… asphyxiés… sorcellerie.

Il porta la main à sa gorge dans le vain espoir de faire pénétrer un filet d’air dans sa poitrine en feu. Avec un dernier cri, faible, presque ridicule, il bascula en avant et vint s’écrouler aux pieds de Radjak. Ce dernier, paralysé de stupeur, doutant de ses sens, regardait sa troupe maintenant immobile.

— Ce n’est pas possible, des hommes ne peuvent mourir ainsi, répétait-il.

Merchak avait examiné le corps de Tahar.

— Le même gaz que lors de l’attaque de la forteresse du cristal, dit-il. Ces maudits moines sont de bons alchimistes. Jamais je n’aurais cru possible d’utiliser ce produit en aussi grande quantité. C’était très risqué car si le vent avait tourné, c’est leur armée qui aurait été asphyxiée.

— Retournons au camp, lança Radjak. Peut-être la situation n’est-elle pas aussi catastrophique que l’a annoncée Tahar.

— J’en doute, songea le sorcier, après un dernier regard sur l’éboulis où ne restait qu’un grand nombre de corps immobiles.

Une heure plus tard, dans sa tente, Radjak se laissa aller à une de ses colères homériques dont il avait le secret. Les quelques soldats qu’il avait pu croiser n’avaient que confirmé ses craintes. Ils étaient tous verts de peur et ne songeaient qu’à fuir le plus loin possible de cette région maléfique. Un peu à l’écart, un groupe d’hommes se tenait autour d’une dizaine de chariots. C’était les gens de Fréquor réquisitionnés pour porter les vivres de l’armée. Ils ne comprenaient rien à la situation mais n’osaient bouger.

Le Csar tournait sa colère contre son sorcier.

— Tu es un traître. Tu connaissais cette maudite substance et tu ne m’as pas prévenu.

— J’ignorais qu’ils en avaient fabriqué une aussi grande quantité.

— Tu aurais dû le deviner ! Je n’ai que faire d’un incapable de ton espèce.

— Il conviendrait de nous retirer rapidement. Nul doute que la cavalerie de Fréquor poussera son avantage et attaquera le camp. Vous n’avez plus aucune force organisée à leur opposer. Les rares survivants se sont empressés de filer. Il ne reste que quelques guerriers de votre tribu.

— Des rats peureux qui ne songent qu’à fuir. Ils m’abandonnent, moi qui voulais leur offrir un magnifique royaume. Ils sont tous indignes de vivre. Toi, Merchak, le premier.

Il saisit le gros médaillon doré qui pendait de son cou sur sa poitrine. C’était en réalité une arme maléfique. De son centre jaillissait un éclair qui foudroyait celui qui lui faisait face. Radjak vit le sourire ironique du sorcier et il se souvint que l’arme était sans effet sur lui. Il en avait eu la preuve autrefois. Sa main glissa vers sa ceinture et, d’un mouvement rapide, il saisit son poignard. Un pas et son bras se détendit, frappant Merchak au flanc gauche. Ce dernier poussa un cri et s’effondra sur le sol.

— Au moins, ricana Radjak, tu n’es pas protégé contre une bonne vieille lame. L’acier est fidèle, lui.

À cet instant, la portière de la tente se souleva et un chevalier en armure apparut, l’épée au poing. Vivement, le Csar saisit son médaillon et une lueur d’un blanc éblouissant en jaillit, frappant le chevalier.

 

*

* *

 

Le soleil baissait sur l’horizon. Il avait perdu sa couleur rouge sang et paraissait briller joyeusement aux yeux d’Yvain. Il avait réuni dix chevaliers, les seuls encore en état de combattre. Paul avait voulu se joindre à lui mais il titubait de fatigue.

— Va te reposer, ordonna-t-il, et demande à la jolie Sabrina de prendre soin de toi. Elle se fera un plaisir de t’aider.

Paul rougit, voulut protester mais sa tête tournait et il dut s’appuyer sur le bras de son ami pour ne pas tomber.

— Je crois que tu as raison. Je me sens aussi faible qu’une femme qui vient d’accoucher.

Heureusement pour lui, deux moines vinrent le soutenir. Avec un sourire, Yvain vit Sabrina se précipiter vers lui. Nul doute qu’avec une telle infirmière, il retrouverait rapidement ses forces.

La troupe approcha du défilé. L’entrée en était difficile en raison du grand nombre de cadavres qui l’obstruait, cruels témoins de l’acharnement des combats. Avançant au pas, la troupe dut piétiner nombre de corps de cavaliers et de dalkas. Passé le premier obstacle, Yvain espérait une progression plus aisée. Il n’en fut rien. Tout le chemin sinueux était encombré par les carcasses de montures et les corps des cavaliers. Tous avaient le visage violacé des asphyxiés ou des noyés. Une douloureuse nausée tordait l’estomac d’Yvain. Dans le pire des cauchemars, il n’avait jamais imaginé un tel tableau. Pourtant, depuis qu’il avait quitté le castel paternel, il avait participé à beaucoup de combats sanglants, tué bon nombre d’adversaires, frôlé plusieurs fois la mort.

Ce fut avec soulagement qu’il parvint en vue du camp ennemi. Comme il le pensait, il y régnait un beau désordre. Surtout, les Godommes était très peu nombreux et très dispersés. Il prit le soin de faire aligner sur un rang serré sa troupe et il ordonna la charge.

Il n’y eut aucun combat. Loin de chercher à lutter, les Godommes s’empressèrent de déguerpir aussi vite que pouvaient les porter leurs montures. Seuls quelques hommes à pied, incapable de fuir, tentèrent de faire face. Ils furent immédiatement balayés.

Yvain se dirigea vers la plus grande tente. Il sauta de sa monture et lança les rênes à Xil qui le suivait. Il souleva le pan de cuir qui masquait l’entrée.

 

*

* *

 

L’éclair éblouit Yvain une fraction de seconde. Surpris de voir son adversaire encore debout, Radjak hésita. Cela lui fut fatal car le jeune homme se fendit brusquement. La lame de son épée pénétra avec force dans le torse de son adversaire. Un instant, ils restèrent figés dans l’effort puis la grande carcasse de Radjak s’effondra lentement comme un chêne qui s’abat sous la cognée des bûcherons.

D’un geste sec, Yvain dégagea son épée et l’essuya d’un geste machinal sur le pourpoint de son adversaire.

— Chevalier… Chevalier.

Yvain découvrit alors le corps allongé à trois mètres de là. L’homme comprimait de la main son flanc gauche d’où sourdait du sang rouge.

— Approchez, je vous en prie.

La voix faible et suppliante obligea Yvain à s’agenouiller.

— Relevez la visière de votre heaume.

Le vieux contempla le visage du jeune homme quelques secondes.

— C’est bien ce que je pensais. Pour avoir résisté à l’éclair, il faut que nous soyons de la même race. Vous êtes le fils de Ted Baxter.

Yvain sursauta violemment comme piqué par un serpent.

— Vous connaissez mon vrai père ?

— Je ne vais pas avoir le temps de te donner de longues explications. Ton père et ta mère sont partis il y a plus de dix-huit ans pour explorer cette planète. Leur vaisseau a sans doute été heurté par une météorite. La même mésaventure m’est arrivée quinze ans plus tard. J’ai juste eu le temps de m’éjecter avant l’explosion de mon vaisseau. Pour survivre, je me suis mis au service de Radjak, une sombre brute.

La voix devenait très faible, à peine perceptible.

— Par hasard, un jour, j’ai retrouvé le vaisseau de tes parents. Il est au centre d’une forêt, trente kilomètres au nord de Bania, la ville de Radjak.

Péniblement, il sortit de son pourpoint ensanglanté une petite boite noire aplatie, de la taille de la paume de la main.

— C’est la clef qui te permettra de pénétrer. Tu trouveras à l’intérieur toutes les explications.

Il se tut, la respiration sifflante, rapide, superficielle. Le visage avait pris une teinte livide et se couvrait de sueurs.

— Prends le médaillon. C’est une arme. Si tu appuies sur la pierre bleue, il sort une onde paralysante. Son effet est d’une heure. La rouge fait jaillir un éclair mortel. La portée est d’une dizaine de mètres. Jure-moi de ne t’en servir que pour te défendre.

Les traits du visage se crispèrent tandis que les pupilles se dilataient. Le vieux eut encore le force de murmurer :

— Je suis content de savoir que le fils de Ted est vivant. Ted… c’était mon meilleur ami et…

Il ne put terminer sa phrase. Yvain resta un moment immobile. Il n’avait pas compris toutes les explications mais les paroles du mourant restaient gravées dans sa mémoire. Il se releva lentement et alla enlever le médaillon du cou de Radjak. C’était un bijou doré de dix centimètres de diamètre et de trois d’épaisseur. En son centre se trouvait une pierre grise. La rouge et la bleue étaient sur le côté.

Le pan de cuir se souleva et deux chevaliers parurent. Yvain dissimula dans sa main sa trouvaille.

— Nous n’avons pas trouvé Radjak, messire. Il a sans doute pu fuir.

— Non, il est ici. Chargez son corps sur un dalka et portez-le au roi. Cette fois, je pense que la guerre est terminée.

Il monta sur son dalka et se dirigea vers les chariots. Quand il arriva à proximité, un homme avança et se jeta à genoux. Il était suivi d’une trentaine de personnes qui s’empressèrent de l’imiter.

— Pitié, seigneur, pitié. Nous sommes des gens de Fréquor. Radjak nous a obligé à le suivre pour assurer le ravitaillement de son armée. Nous jurons que nous n’avons jamais porté les armes contre le roi Karlus.

Yvain réfléchit rapidement mais il ne pouvait prendre une décision qui n’appartenait qu’au roi. Toutefois, il eut une idée au souvenir de sa pénible traversée du défilé.

— Je pense que notre Sire vous pardonnera d’avoir servi un usurpateur mais il vous faut d’abord expier. Vous allez creuser de grandes fosses et ensevelir tous les corps avant que leur décomposition empeste l’air. Lorsque la besogne sera terminée, vous vous rendrez à Rixor pour recevoir le pardon du roi.

Sentant la mort s’éloigner, les hommes se répandirent en remerciements mais Yvain les abrégea en faisant faire volte face à sa monture.

Les chevaliers s’étaient regroupés autour de lui assez impatients de se reposer.

— Au retour, nous nous diviserons en deux groupes. J’aimerais que nous explorions les bosquets alentours pour nous assurer que quelques malandrins ne s’y sont pas dissimulés.

Suivi de Xil et de deux chevaliers, il se dirigea vers un petit bois qui s’obstinait à pousser sur cette hauteur.

 

*

* *

 

De Guerreval regardait la colonne des chevaliers s’engager dans le défilé. Le premier coude passé, elle ne fut plus visible. Il piaffait d’impatience. N’y tenant plus, il lança au roi :

— Je vais les rejoindre. Yvain peut avoir besoin de mes conseils. Sans attendre de réponse, il éperonna sa monture qui partit au grand galop de ses six pattes. Priscilla l’imita en criant à son frère :

— Nous ne pouvons le laisser seul. Au moindre écart de sa monture, il chutera et sera incapable de se relever.

Elle rejoignit le connétable au moment où il s’engageait dans le défilé. Ils se taisaient concentrant toute leur attention sur la conduite des montures qui renâclaient parfois devant les obstacles. Livide, l’estomac contracté, la princesse murmura :

— Tous ces cadavres, une telle horreur n’est pas possible. Ce n’est pas chevaleresque.

— C’est cela la guerre, grogna de Guerreval avec un sourire sarcastique qui lui était familier.

Ils arrivèrent enfin en vue du camp ennemi.

— C’est bien ce que j’espérais, soupira-t-il. Les rares survivants sont en fuite. Allons retrouver messire Yvain.

Ils mirent leur monture à un petit trot prudent nécessité par l’état du connétable. Ils étaient à peu de distance d’un bosquet quand quatre cavaliers surgirent. De Guerreval eut le temps de reconnaître le Grand Prêtre d’Allium, un autre moine et deux hommes de la garde personnelle de Luzor.

Déjà, ils arrivaient à leur hauteur. Le moine, jeune et solidement musclé, saisit la bride de la monture de Priscilla et l’emmena au grand galop, suivi de son maître tandis que les deux gardes attaquaient le connétable. Ce dernier avait tiré son épée. Il para un coup de pointe qui ne fit qu’effleurer son pourpoint et riposta d’un revers qui trancha la gorge de l’homme. Le second arrivait. Parades et ripostes s’enchaînèrent sur un rythme rapide. La blessure et l’immobilité au lit n’avaient pas diminué la force du bras du connétable ni la rapidité de ses réflexes. Enfin, il trouva une ouverture dans la garde de son adversaire. Quand ce dernier arriva à la parade, il avait déjà trois pouces d’acier dans la poitrine. En un élan désespéré, le garde se jeta sur de Guerreval et les deux hommes tombèrent à terre. Le connétable perçut un craquement mais ne ressentit aucune douleur. Il avait été contraint de lâcher son épée mais ses mains nerveuses se nouèrent sur la gorge de son adversaire. Rapidement, il se rendit compte que ce dernier avait cessé de vivre. Avec effort, il repoussa le corps qui l’étouffait à moitié puis il tenta de se relever. Il poussa un juron retentissant quand sa jambe blessée se déroba sous lui. La chute avait fracassé la prothèse de bois de maître Arp.

À cet instant, quatre chevaliers arrivèrent près de lui. Yvain sauta à terre en reconnaissant le connétable.

— Êtes-vous blessé ?

— Non, ne vous occupez pas de moi. Ce maudit Luzor a enlevé la princesse. Courez-lui après et étripez-le de ma part. Ils sont partis dans cette direction. Il va certainement tenter de regagner Fréquor. Il n’a guère d’avance sur vous.

— Mais ses montures sont plus reposées que les nôtres qui ont couru tout le jour, soupira Yvain.

— Raison de plus pour ne pas perdre de temps.

Yvain prit rapidement sa décision. Il ordonna aux deux chevaliers de remettre en selle le connétable et de l’escorter jusqu’au camp puis il stimula son dalka qui accepta de partir au galop.

 

*

* *

 

La nuit était tombée depuis deux bonnes heures quand le grand prêtre ordonna une halte.

— Je pense que nous sommes assez éloignés et mes hommes ne devraient pas tarder à nous rejoindre. Même si votre disparition a été signalée, les recherches ne pourront commencer avant l’aube. Cela nous laisse encore une bonne avance.

Priscilla titubait de fatigue. La course folle sans pouvoir tenir des rênes avait demandé un gros effort pour rester en selle.

— Asseyez-vous, belle princesse, ironisa le Grand Prêtre. Malheureusement, je n’ai pas emporté de provisions et il vous faudra jeûner ce soir.

Pendant ce temps le jeune moine rassemblait des branches de bois mort et entreprenait d’allumer un petit feu.

— Pourquoi m’avoir ainsi enlevée ? Mon frère vous fera payer très cher l’insulte faite à sa famille.

Luzor étendit la main pour juguler la colère débutante.

— J’avoue que votre venue fut inespérée. Vous me servirez de garantie lorsque je discuterai avec le roi. Après la sanglante défaite subie par Radjak, nul doute que Karlus s’empressera de marcher sur Fréquor. Il pourrait lui venir à l’idée de me punir pour avoir couronné Radjak. Votre présence le dissuadera d’en venir à une telle extrémité.

Priscilla éclata d’un rire triste et secoua la tête.

— Mon frère ne se soucie guère de moi et n’hésitera pas à me sacrifier si nécessaire à l’intérêt du royaume.

— Sans doute mais je pense que votre mère saura l’amener à des sentiments plus conciliants. Je souhaite seulement qu’il me confirme à la tête de l’église d’Allium et qu’il ne touche pas aux biens du temple… qui sont surtout les miens. Même le Csar avait souscrit à cette condition en somme bien modeste.

Plusieurs minutes s’écoulèrent en silence.

— J’oubliais un détail, reprit Luzor. Vous me devez encore mille pièces d’or.

Devant la mine surprise de Priscilla, il précisa :

— N’est-ce pas la somme promise si le Prince des Ténèbres emportait le baron d’Escarlat ? C’est chose faite.

Une pâleur subite envahit le visage de Priscilla.

— Quand ? parvint-elle à articuler.

— Il y a plus de trois mois. Il a péri dans le marais maudit dans lequel il tentait de se réfugier pour échapper au piège tendu par les Godommes.

La princesse, soulagée, ironisa :

— Godommes que vous aviez prévenus.

— Il faut parfois aider la divine providence, sourit Luzor. L’essentiel n’est-il pas la réussite ?

— Ce ne fut pas le cas. Ce matin encore, le baron se portait fort bien et il a vaillamment combattu vos amis Godommes. À voir la quantité de sang sur son armure, je sais qu’il en a navré un bon nombre. S’il vous retrouve, je suis persuadée qu’il se fera un plaisir de vous trancher la gorge d’une oreille à l’autre.

Le visage du Grand Prêtre laissa paraître sa contrariété puis un éclair traversa son regard.

— Dans ce cas, il vous faudra appartenir une nouvelle fois au Prince des Ténèbres.

Sur un signe de son maître, le jeune moine saisit la princesse par les bras et l’obligea à s’allonger. En dépit de ses cris, il la maintint fermement. Luzor se pencha et, évitant les ruades de la jeune fille, il retroussa sa robe jusqu’à la taille, dévoilant ses cuisses fuselées.

— Il nous manque l’élixir mais nous nous en passerons.

Il s’abattit sur elle en ricanant :

— La fois précédente vous aviez trouvé la chose agréable.

Priscilla poussa un nouveau cri strident.

— Le Prince des Ténèbres, c’était vous !

— Je n’étais que son instrument.

Soudain, il la pénétra brutalement, lui arrachant un nouveau hurlement.

— C’est bien la belle, défends-toi, tortille-toi, cela augmente mon plaisir. Mon disciple saura aussi apprécier ton contact. Il a encore la fougue de la jeunesse et lui ne s’arrêtera pas à la première reprise.

Soudain, le jeune moine s’écroula sur le visage de Priscilla. Luzor eut à peine le temps de noter le sang qui s’écoulait de la nuque transpercée par une lame. Une poigne irrésistible le saisit par le col de sa robe et l’envoya rouler à cinq mètres.

— Yvain, gémit Priscilla qui avait réussi à repousser le corps qui l’étouffait.

Elle restait allongée, les cuisses dénudées, sans même songer à rabaisser sa robe, inconsciente du charmant tableau qu’elle présentait. Yvain lui tendit la main pour l’aider à se lever puis il se tourna vers Luzor, l’épée au poing. Ce dernier s’était redressé et restait immobile, les bras croisés, les mains enfouies dans les larges manches de sa tunique. Le visage impassible, les yeux brillants, il regardait celui qui venait vers lui. Sa voix ferme et grave lança :

— Oseriez-vous porter la main sur le Grand Prêtre d’Allium ?

Yvain hésita un instant. Sa mère lui avait toujours dit de respecter les prêtres. Soudain, Luzor tira de sa manche un long poignard et s’élança sur le jeune homme, visant la gorge. Il n’avait que trois pas à franchir pour arriver à son but. Un… Deux… Il s’immobilisa brusquement, regardant avec étonnement la flèche qui venait de pénétrer sa poitrine. Lentement, il s’effondra aux pieds d’Yvain tandis que résonnait la voix ironique de Xil.

— On m’a toujours dit de me méfier des gens qui dissimulent leurs mains.

Revenue de sa surprise, Priscilla se jeta dans les bras d’Yvain un peu gêné par cette démonstration exubérante et aussi par sa cuirasse.

— Comment m’as-tu retrouvé ?

— Il est heureux que vous ayez crié à plusieurs reprises, cela nous a guidés.

Il s’arracha doucement des bras qui restaient cramponnés à lui et dit :

— Venez, princesse, il est temps de retourner au camp.

Priscilla hésita un instant avant de murmurer :

— De nuit, la marche en forêt sera lente et difficile. Ne pouvons-nous rester ici jusqu’à l’aube. Tous ces événements m’ont brisée et je souhaite me reposer quelques heures.

— Pourquoi pas ? J’avoue que mes muscles aspirent aussi au repos et que seul le désir de vous retrouver m’a donné la force de continuer.

Xil remit quelques branches dans le feu puis aida son maître à se débarrasser de son armure. Yvain apparut en chemise où la sueur laissait de larges aréoles.

— Enlevez-la, elle est trempée à tordre. Je la sécherai près du feu sinon vous allez attraper une bonne vieille crève cette nuit.

Avec un regard gêné sur Priscilla, il fit passer le vêtement par-dessus sa tête. Il apparut torse nu. La princesse jeta un œil admiratif sur la musculature puissante avant de s’écrier :

— Vous êtes blessé !

— Que non. Ce ne sont que petites contusions.

En réalité, de larges ecchymoses marbraient le torse et les bras.

— Avec lui, c’est toujours la même chose. Jamais je ne l’ai entendu émettre une plainte, soupira Xil. Après toutes les batailles du jour, je me demande comment il peut encore tenir debout. Obligez-le au moins à s’allonger, princesse. J’ai un bon maître et je ne voudrais pas le perdre trop vite.

Avec un petit rire, Yvain se laissa entraîner par Priscilla sous un gros chêne à un endroit où la mousse du sol était épaisse.

— Tire à l’écart ces deux cadavres dont la vue nous importune.

Priscilla s’allongea près de lui et ils restèrent un long moment à regarder les flammes dansantes du feu. Ils savouraient ce moment de détente. Il exhalait du torse nu et meurtri d’Yvain une odeur puissante de transpiration mais mélangée à celle de la mousse sèche et des mille senteurs de la forêt qui troublait profondément la jeune fille.

Lentement, elle posa la tête sur cette poitrine, tressaillant au contact de la peau nue. Elle murmura d’une petite voix hésitante, inhabituelle chez la princesse :

— Tu… Tu as vu ce qu’ils me faisaient…

Yvain passa la main très doucement sur le visage de sa compagne.

— Vous devez oublier. Ils sont morts et vous êtes bien vivante. Vous devez vous persuader que ce n’est qu’un cauchemar qui se dissipe au réveil.

— Tu pourrais m’aider à effacer ces horribles instants.

Ce n’étaient plus des ordres comme lors de leurs précédentes rencontres mais une supplication. Lentement, très doucement, il caressa le visage puis le corps de Priscilla. Sa main se glissa sous la robe pour sentir sous ses doigts la peau satinée. Il releva le tissu bien aidé par un déhanchement de sa compagne qui frissonnait. Leurs lèvres se joignirent. Un baiser doux, tendre. Puis Yvain prit possession avec une lenteur calculée, de ce corps qui s’offrait à lui. Priscilla enserra de ses bras le torse puissant et soupira d’aise.

Les Sorcières du marais
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